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Clinique infirmièrepar le collectif Hélianthe

Promouvoir la pensée infirmière

Bienvenue sur le site du collectif Hélianthe. C'est un site destiné à tous ceux s’intéressant aux soins infirmiers. Notre objectif est de valoriser les sciences infirmières mais surtout de l'articuler avec notre pratique clinique quotidienne, les rendant plus concrètes. Une théorie de soins ou l'utilisation de concepts ne sont pas là pour complexifier et scientifiser inutilement notre profession. Cela apporte un éclairage nouveau sur une situation, enrichit notre réflexion et nos échanges, nous ancre dans une vision de la santé, de la personne et de son environnement ainsi que des soins infirmiers.

 

Nous sommes huit infirmiers spécialistes cliniques, avec des modes d'exercices et des disciplines différents, mais réunis par une même vision du soin et une même volonté: valoriser la clinique infirmière.

La relation interpersonnelle en addictologie

29/08/2021

La relation interpersonnelle en addictologie

La relation soignante est un élément constitutif du soin. Virginie Tardivel témoigne de l'importance de cette relation au travers de son activité au sein d'une Équipe de Liaison et de Soin en Addictologie.

Je suis Infirmière en Pratique Avancée (IPA) au sein de l’Equipe de Liaison et de Soins en Addictologie (ELSA) de mon établissement. J’exerce ma profession d’IPA selon la définition d’Hamric de l’Infirmière Spécialiste Clinique (ISC). J’assure donc conjointement une activité clinique et des mandats pédagogiques, de leadership clinique et de recherche.

 

Je rencontre pour la première fois Monsieur M à sa demande. Il a 32 ans, et présente une schizophrénie stabilisée par des traitements antipsychotiques. Il est suivi dans un Hôpital de Jour (HDJ) à raison de 3 demi-journées par semaine depuis 8 ans. Il s’y rend pour participer à des ateliers de groupes et s’entretenir avec son médecin psychiatre une fois par mois. Monsieur M est sans emploi, il n’a jamais travaillé, il vit chez ses parents. Monsieur M est fumeur depuis l’âge de 17 ans. Il n’a jamais essayé d’arrêter de fumer. Il voit mon travail auprès d’autres patients de l’HDJ qui arrivent à diminuer leurs consommations tabagiques.  Il me sollicite dans le même but. Il se présente la semaine suivante à la consultation. Il est ponctuel. Je fais la connaissance d’une personne motivée par l’envie d’arrêter son tabagisme mais profondément anxieux à l’idée de ne plus fumer. Mr M n’est pas dans le déni de sa consommation et particulièrement des répercussions que cela engendre : « Je n’ai plus de plaisir à fumer, je suis devenu un esclave. Je ne me sens plus libre, je dois toujours penser à avoir des cigarettes, anticiper le week-end ou parcourir les quatre coins de la ville pour trouver une épicerie de dernier recours quand tout est fermé ».

 

Ses verbatims sont forts. Le patient perçoit le tabagisme comme un problème.  Il souhaite ouvrir la discussion sur l’arrêt du tabac, même s’il est ambivalent. Il montre son intention d’arrêter. Il est au stade de l’intention. Pour apprendre à le connaître, à identifier ses représentations du sevrage tabagique et le rassurer, nous échangeons. Je me présente et lui précise mon travail. Je lui explique que je suis là pour l’accompagner et non pour le juger. Que notre relation doit être basée sur la confiance mutuelle. Par cette conversation bienveillante et empathique, j’essaie d’établir une relation d’aide. La relation d’aide est quelque chose d’extrêmement délicat, comme l’explique Hildegarde Peplau (1995). Elle considérait le soin comme « un processus interactif entre une personne ayant besoin d’aide et une autre capable de lui offrir cette aide ». Une relation dite interpersonnelle est d’autant plus importante lorsque l’on parle de santé mentale et plus particulièrement dans le cas de troubles addictifs. Les personnes souffrant d’une maladie psychiatrique et d’un ou plusieurs troubles de dépendance sont souvent soumis aux préjugés, aux jugements sociaux .
Pour cet accompagnement spécifique, je me suis appuyée sur l’ancrage disciplinaire de Hildegard Peplau, théoricienne en soins infirmiers abordant la relation interpersonnelle, utilisé fréquemment en psychiatrie . Pour expliciter les quatre étapes dynamiques de la relation, je vais les exposer et faire le lien avec la situation de Mr M.

 

La théorie d’une expérience partagée
Premièrement la phase d’orientation, ce temps d’accueil est un moment précieux. Tout au long du processus de soins, l’interaction évolue, les points de vue vont changer, mais c’est la relation qui va être instaurée qui va permettre d’assurer un équilibre au sein de nos échanges. J’essaye de comprendre comment le patient voit sa maladie, comment il l’intègre et quel est son souhait concernant sa demande d’aide autour du tabac. J’instaure un climat propice à la communication et à une confiance mutuelle. Cette première étape constitue une phase socle de l’accompagnement qui pourra donner lieu à une prochaine étape constructive de l’évolution personnelle et sociale du patient. Mr M connaît le diagnostic de sa pathologie psychiatrie. Il est observant et régulier dans ses suivis. Il gère efficacement sa maladie au quotidien.
 
La phase d’identification
Cette phase permet au patient d’identifier la personne qui va l’aider, de pouvoir parler de ses craintes sans être jugé et d’installer une relation de confiance. Mr M verbalise une demande claire. Il souhaite diminuer son tabagisme et me demande de l’aider. Il verbalise ses craintes : « J’ai peur, j’ai peur d’être mal, nerveux, de prendre du poids, comment je vais m’occuper ? je ne me vois pas sans cigarettes ».
Mr M a commencé à fumer à l’âge de 15 ans et de façon quotidienne à 17 ans. Rapidement, sa consommation a augmenté. Depuis 15 ans, il fume un paquet de 20 cigarettes par jour.  Il veut diminuer de 5 cigarettes par jour sa consommation. En exprimant ses craintes et ses sentiments je sais qu’une relation de confiance est née. Peplau écrit que le patient va aussi s’identifier au soignant afin de mieux gérer sa maladie. Les soins infirmiers vont aider le patient à reconnaître ses ressources et les développer. La relation soignant-soigné encourage le patient à développer sa personnalité et remplacer son sentiment d’impuissance par de la créativité et/ou de la productivité.
Je réponds aux questions de Mr M et lui communique des informations et des explications. Par mon expérience professionnelle et les données disponibles dans la littérature, je sais que les rechute sont moins fréquentes lorsqu’on arrête totalement son tabagisme. Mais il ne se sent pas prêt et souhaite diminuer dans un premier temps sa consommation à 15 cigarettes par jour. Je le laisse choisir. Le projet de soin, pour qu’il soit réalisable, doit être décidé avec le patient. Ainsi, j’accepte son choix et établit avec lui des stratégies à mettre en place pour l’accompagner. Je lui présente les différents substituts nicotiniques. Il choisit de mettre un patch de nicotine dosé à 14mg/24h et de prendre ponctuellement dans la journée 4 gommes à 2mg de nicotines par jour. Je lui propose de mettre 15 cigarettes dans un paquet pour qu’il visualise tout au long de la journée, lorsqu’il prendra une cigarette le nombre qu’il lui reste.
Cette stratégie lui plaît beaucoup, mais je constate que Mr M reste inquiet, je lui en fait part. Pour encadrer au mieux les choses, je lui propose d’écrire maintenant les moments de la journée ou il souhaite fumer. Il positionne ses 15 cigarettes et les moments où il va prendre une gomme nicotinique pour anticiper le manque. Cette stratégie, redonne de la confiance au patient. C’est l’exercice du maternage psychologique. Les objectifs sont multiples, ils permettent d’encadrer les choses, d’apporter de la sécurité, de garantir la relation et surtout de satisfaire les besoins du patient.
 
La phase d’exploitation 
Une semaine après, Mr M a dépassé ses objectifs. Il est souriant et heureux de m’annoncer qu’il fume 12 cigarettes par jour. Je le félicite pour sa volonté et son courage. La compréhension et la détermination de Mr M lui ont permis de réduire son tabagisme et de dépasser ses objectifs de sevrage. Les semaines vont suivre et il va maintenir cette consommation. Nos entretiens seront toujours aussi réguliers, une fois par semaine. Deux mois plus tard, confiant, il décide d’arrêter les substituts nicotiniques sans m’en parler. La semaine suivante, lors de l’entretien, il m’annonce qu’il a rechuté et qu’il fume à nouveau 20 cigarettes par jour. Il est déçu. Je le rassure et dédramatise les choses. Je lui explique que c’est une expérience qu’il doit garder en mémoire. Que cela lui permet de se rendre compte que les substituts lui sont d’une grande aide et qu’il est capable d’y arriver. Il a fait le choix d’arrêter les substituts nicotiniques car il se sentait bien, un ressenti fréquent lors des sevrages.  Je lui demande s’il souhaite à nouveau tenter une nouvelle diminution ? Il me répond : « Réduire c’est trop difficile, je veux arrêter compétemment ».
 
Je suis fière de lui et de sa prise de décision. Je l’encourage. Il veut commencer dès le lendemain. Pour ce nouveau projet de soin, nous adaptons les substituts nicotiniques. Je le revois la semaine suivante. Il est abstinent, il a bonne mine, mais moralement c’est difficile. Il verbalise un mal-être : « Je ne me reconnais pas sans cigarette, j’ai l’impression d’être quelqu’un d’autre, je rêve la nuit que je fume et je me réveille brutalement ». Pour l’accompagner et renforcer sa motivation, j’utilise des techniques de Thérapie Comportementale et Cognitive (TCC). Nous effectuerons ce travail pendant plusieurs séances. 

 

La phase de résolution 
Mr M est abstinent depuis maintenant 4 mois. Nous avons espacé les entretiens et avec son accord je le vois une fois par mois. Nous avons diminué les substituts nicotiniques. Il ne prend plus de gomme et met un patch de 7mg/24h. Mr M arrive au rendez-vous souriant, il a bonne mine. Je m’aperçois qu’il a perdu 4 kg, lui qui était en léger surpoids. Il m’annonce qu’il s’est remis au sport, qu’il va faire du vélo sur les bords de Marne et qu’il fait attention à son alimentation. Les bonnes nouvelles se suivent, il a rencontré l’assistance sociale de l’HDJ pour lui demander d’intégrer un Etablissement et Service d'Aide par le Travail (ESAT) en jardinerie et a formulé le souhait d’avoir un logement. 
Cette situation rend concrète cette phase de résolution. Elle met en évidence l’évaluation du degré d’atteinte des buts du patient, de la satisfaction de ses besoins et de l’émergence de nouveaux besoins plus matures. Ce savoirs acquis permet au patient de mettre fin au suivi avec moi.
Un mois après ce dernier entretien, il a pris ces fonctions au sein d’un ESAT en jardinerie. Son employeur étant très satisfait de son travail lui a proposé un logement social juste à côté du site. Mr M a accepté son offre.
 
Conclusion 
La relation interpersonnelle vise à développer les compétences du patient. Cette théorisation permet également au soignant de l’accompagner en ne faisant pas pour lui mais avec lui. Cette relation est égalitaire. Le patient est expert de sa personne, de sa maladie et l’ISC experte en clinique et en addictologie. Le « prendre soin » infirmier va bien au-delà de l’application de techniques. Il tient avant tout à la qualité de la relation que l’infirmière établit avec le patient et à la manière dont elle l’utilise à des fins thérapeutiques. La réussite de son sevrage tabagique complet a permis à Mr M d’avoir une meilleure estime de lui, de gagner en qualité de vie et de réaliser des objectifs de vie longtemps pensés comme inatteignables.
 

Virginie Tardivel.


Pour aller plus loin :
Peplau, H (1995). Les relations interpersonnelles en soins infirmiers. Paris : interEdition
Chalifour, J. (1990). La relation d’aide en soins infirmiers une perspective holistique-humaniste. Paris : Edition Lamarre
Haute Autorité de Santé (2014). Arrêt de la consommation de tabac : du dépistage individuel au maintien de l’abstinence en premier recours.