Lorem ipsum dolor sit amet, consectetur adipiscing elit.

Nous écrire: collectif.helianthe@gmail.com

Clinique infirmièrepar le collectif Hélianthe

Promouvoir la pensée infirmière

Bienvenue sur le site du collectif Hélianthe. C'est un site destiné à tous ceux s’intéressant aux soins infirmiers. Notre objectif est de valoriser les sciences infirmières mais surtout de l'articuler avec notre pratique clinique quotidienne, les rendant plus concrètes. Une théorie de soins ou l'utilisation de concepts ne sont pas là pour complexifier et scientifiser inutilement notre profession. Cela apporte un éclairage nouveau sur une situation, enrichit notre réflexion et nos échanges, nous ancre dans une vision de la santé, de la personne et de son environnement ainsi que des soins infirmiers.

 

Nous sommes huit infirmiers spécialistes cliniques, avec des modes d'exercices et des disciplines différents, mais réunis par une même vision du soin et une même volonté: valoriser la clinique infirmière.

VigilanS : un simple appel téléphonique ?

15/01/2022

VigilanS : un simple appel téléphonique ?

Stéphanie Courcoux partage son expérience professionnelle au sein du dispositif VigilanS. Stéphanie Courcoux nous propose une présentation du dispositif ainsi qu'une vignette clinique qui nous fait ressentir combien la gestion d'une crise psychiatrique requiert un haut niveau de savoir, de savoir être et de savoir faire. Cette illustration clinique traduit comment la gestion d'une crise impose au soignant d'accueillir des émotions très intenses.

« Je vais sur le pont. Si quelqu’un me sourit en chemin, je ne sauterai pas. » Jérôme Motto

Contexte National
Le suicide est un problème majeur de santé publique. La France présente un taux de suicide parmi les plus élevés d’Europe. Durant l’année 2016, le nombre de suicides est estimé à environ 9 000. Le nombre de Tentatives de Suicide est lui d’environ 200 000 (ONS, 2016). Il est important de considérer que le cout sociétal pour un décès par suicide est d’environ 350 000 euros. Ce cout oscille entre 5000 et 15 000 euros pour une TS.
La Stratégie nationale de Santé 2018-2022 déclinée dans les Projets Régionaux de Santé (PRS) est une stratégie multimodale de prévention du suicide. Cette stratégie prévoit :
•    Meilleure information du public (1)
•    Prévention de la contagion suicidaire
•    Formation actualisée au repérage, évaluation et intervention de crise suicidaire
•    Mise en place d’un numéro national unique de prévention du suicide : le 31 14
•    Maintien du contact avec la personne qui a fait une tentative de suicide : VigilanS


Le dispositif VigilanS
Le dispositif de recontacte a été mis en place pour la première fois dans les Haut-De France en 2015. Il est actuellement en développement dans toutes les régions métropolitaines ainsi qu’en Outre-Mer. Ce dispositif a pour objectif de diminuer la morbidité et la mortalité liées aux conduites suicidaires via une veille active téléphonique assurée par des psychologues et des professionnels infirmiers. 


Lorsqu’un patient sort d’une hospitalisation induite par un comportement suicidaire, une Carte Ressource (CR) ainsi qu’une note d’information lui sont remises. Le numéro de téléphone au moyen duquel il peut joindre le dispositif Vigilans est inscrite sur cette CR. Les professionnels du dispositif sont prévenus de cette inclusion. Le patient est alors recontacté entre J10 et J21 de sa sortie de l’hôpital puis 6 mois après.


Des appels intermédiaires peuvent être réalisés si la situation l’exige. Après chaque évaluation, des comptes-rendus sont envoyés aux différents professionnels de santé qui suivent le patient. Lors de l’entretien téléphonique, le professionnel va réaliser un recueil d’anamnèse complet ainsi qu’une évaluation précise du risque suicidaire. Les professionnels du dispositif VigilanS sont régulièrement amenés à réaliser un plan de sauvegarde avec le patient. Ce plan vise à anticiper une récidive suicidaire. L’objectif est d’identifié en amont de la crise avec le patient une conduite à tenir et des personnes ressources à contacter.


Vignette clinique – Me P.
Nous sommes un vendredi, début juillet. Le vendredi est une journée parfois bien chargée. Il fait beau et je trouve cet après-midi assez calme… jusqu’à ce fameux appel téléphonique. En ligne, Me P, âgée de 38 ans. Je regarde son dossier dans notre logiciel, assez rapidement, pour mieux comprendre la situation car je ne connais pas cette patiente. Elle a été intégrée dans le dispositif VigilanS suite à une Intoxication Médicamenteuse Volontaire (IMV) qui a nécessité une hospitalisation d’un mois en psychiatrie. Je m’aperçois assez vite que la patiente nous a contactée trois fois sur cette semaine.


En effet mes collègues ont déjà réalisé l’appel à J10. Elle avait encore des idées suicidaires fréquentes, sans scénario précis. La patiente verbalise cependant qu’elle aimerait s’endormir et ne pas se réveiller. Par rapport à sa TS, il n’y a pas de regret ni de critique.


Au niveau des antécédents psychiatriques, on retrouve plusieurs TS durant l’adolescence. Elle a vécu une agression quand elle avait 12 ans ainsi que sa petite sœur, par un ami de la famille. Sa mère lui a interdit de porter plainte. Elle appréhende car son petit frère va se marier dans quelques jours et cette personne y sera.
Elle a également vécu des maltraitances de ses deux parents, dit qu'ils ont une emprise sur elle, encore aujourd'hui et qu'elle en a encore peur.


Elle rappelle une dizaine de jours plus tard, lors du mariage de son frère car son agresseur sera présent. Elle indique à ma collègue qu’elle a refait une TS il y a une semaine avec douze comprimés de son médicament pour le diabète mais ça ne lui a finalement rien fait. Il n’y a pas eu d'hospitalisation. Elle ne critique pas son geste. Les idées suicidaires sont présentes tous les jours. L’appel est interrompu par la venue d’un membre de sa famille car le mariage va commencer. Un rendez-vous téléphonique est convenu avec la collègue, le lundi suivant. 

 

Ma collègue lui laisse un message le lundi sans réponse. Elle rappellera le lendemain. Elle va moins bien depuis qu'elle a revu son agresseur au mariage de son frère. Elle ne croit plus en rien et se sent fatigué. Des idées suicidaires sont présentes le soir mais sans scénario. Elle a également contacté SOS amitié, Suicide Ecoute et SOS Suicide Phénix. Elle a également contacté plusieurs associations d'aide aux victimes ainsi que le centre d’information des droits et des femmes et des familles.


Trois jours plus tard, elle appelle. C’est moi qui réponds. Elle ne se sent pas bien suite à une dispute, la veille, avec sa mère, dû à son agresseur. Sa voix est sereine. Je sens, assez vite, que la situation va être difficile à gérer. Je dois faire vite le lien, ne pas céder à la panique car j’apprends, rapidement, qu’elle est en train de se diriger vers la Seine, pour se noyer. Elle est en voiture, celle de son frère, qui se trouve en voyage de noce. Elle n’est pas loin d'arriver et ne sait pas nager. Les idées suicidaires sont très importantes. Elle n’arrive pas à les maîtriser. Je sens ma voix monocorde, je sens que je m’enfonce dans mon siège, avec une incapacité de me lever, pour demander à ma collègue de contacter le SAMU, pour une géolocalisation. Mon seul but est de faire du lien et qu’elle ne raccroche pas. Je veux la faire parler.


Elle a de nouveau des idées suicidaires depuis la veille. Elle n’a pas dormi de la nuit. Elle est en colère contre sa mère car elle a le sentiment d’être abandonnée dans cette situation. Elle est peu soutenue au niveau familial. En effet, ses cinq sœurs lui interdisent de faire du mal à leurs parents. Cette interdiction provoque chez elle un fort sentiment d'injustice. L’impossibilité de porter plainte implique qu’il n’y a pas de reconnaissance possible de son statut de victime et de sa souffrance. Les idées suicidaires augmentent de jour en jour. Des crises d’angoisses sont également présentes : oppression, tachycardie, sueurs, tremblements. Des signes d’un syndrome post-traumatique se rajoutent, surtout la nuit. En effet, avant d'aller dormir, elle revoit son agresseur, elle en fait des cauchemars et revit la scène. A travers son discours, je la sens perdue.


« Ma vie est un cauchemar … je souffre en silence … je meurs à petit feu … j’ai l’impression qu'une flamme brûle dans mon corps »


Elle pleure. Ma seule réassurance est que le lien se fait grâce à mon écoute active. La reformulation fonctionne avec cette patiente. Mais elle ne veut toujours pas me communiquer des informations qui pourraient aider les pompiers à la retrouver. C’est à ce moment-là que ma collègue frappe à ma porte. Elle m’avouera après qu’elle trouvait bizarre que ma porte soit fermée. Je lui écris sur un post-it de faire une géolocalisation du numéro de la patiente. Nous collaborons beaucoup avec le SAMU 78, ils sont donc très réactifs lors de nos appels. La géolocalisation commence. 


Pendant ce temps elle se met à pleurer. J’apprends également qu’elle a écrite deux lettres d’adieu la veille : une adressée sa sœur et l’autre à son frère. Elle a arrêté son traitement diabétique depuis quelques jours avec une intentionnalité suicidaire. J’essaie d’entendre ce qu’il y a autour d’elle pour essayer de donner des pistes au SAMU. Ma collègue n’a toujours pas de nouvelles. La géolocalisation est difficile car elle couvre un grand périmètre. La patiente refuse de se rendre aux urgences car elle craint l'hospitalisation sous contrainte.

 

Au bout de 63 minutes elle raccroche au moment où je l’entends fermer la porte de la voiture. Ma collègue ne me rassure pas car elle me dit que le SAMU ne la trouve pas. Je la rappelle directement mais je tombe sur répondeur. Je lui laisse un message pour lui dire que je suis toujours là et qu’elle peut me rappeler. Je pose le combiné du téléphone, impuissante, énervée et inquiète.


Nous débriefons avec ma collègue, quand 30 minutes plus tard, le SAMU nous rappelle pour nous informer qu’ils ont retrouvé la patiente, dans sa voiture, avec des propos suicidaires. Les pompiers l’ont emmené aux urgences sans agitation. Un grand cri de soulagement sort de moi en reposant le combiné. Je suis vraiment soulagée qu’elle soit prise en charge. Je suis épuisée par cet appel. Ce jour-là, le dispositif VigilanS a participé à prévenir une tentative de suicide.


Conclusion
La relation d’aide est une théorie centrale dans la prise en soin et l’accompagnement des patients. Bien qu’inscrite dans notre décret de compétences depuis plus de trente ans, la relation d’aide constitue une part invisible de nos activités et de nos compétences d’infirmières. Ces dernières font pourtant parties de notre rôle propre (2). En effet, l’infirmière s’adapte continuellement aux besoins et aux émotions et à la singularité de la personne (3). Elle se situe dans l’ici et maintenant et fait appel aussi à une expérience (4) et a des compétences spécifiques au niveau de la communication.
Depuis mes débuts avec le dispositif VigilanS, je suis assez étonnée de tout ce qu’il peut se passer au travers d’un entretien téléphonique. Je ne pensais pas que les patients pouvaient autant se livrer. Dans ce contexte, les qualités du soignant sont fortement sollicitées pour créer un climat relationnel favorable à l’instauration d’une relation d’aide. L’authenticité, la congruence et la capacité d’écoute du soignant deviennent ainsi primordiales. Les attitudes de présence, d’empathie, de congruence et d’acceptation inconditionnelle se transforment en dispositions sine qua non pour l’instauration fructueuse de cette relation (5). 


Bibliographie
1-    https://solidarites-sante.gouv.fr/fichiers/bo/2019/19-10/ste_20190010_0000_0124.pdf
2-    https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/arrete_du_31_juillet_2009.pdf, compétence 4 : mettre en oeuvre des actions à visée diagnostique et thérapeutique, point 6.
3-    Clergues. E, Lacroic.ML. La relation d’aide, un projet thérapeutique. La revue de l’infirmière, N° 142, juillet-aout 2008, page 43.
4-    Clergues. E, Lacroic.ML. La relation d’aide, un projet thérapeutique. La revue de l’infirmière, N° 142, juillet-aout 2008, page 44.
5-    Phaneuf.M. Carl Rogers, l’homme et les idées. Mai 2007, révision février 2013, page 5