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Clinique infirmièrepar le collectif Hélianthe

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L’advocacy: illustration du concept par la situation d’un patient âgé confronté à une amputation

12/03/2022

L’advocacy: illustration du concept par la situation d’un patient âgé confronté à une amputation

Nous cherchons tous à orienter les soins selon les souhaits de la personne soignée. Mais que faire en cas d'ambivalence? Comment guider sans influencer? Comment défendre une voix incertaine? A la lumière de la théorie de Gottlieb et du concept d'advocacy, Nadège Ecorcheville nous donne des éléments de réponse.

L’advocacy apparait dans le domaine de la santé dans les années 1970 en gérontologie bien que ce concept soit déjà perceptible dans la définition des soins infirmiers proposée par Nightingale, Chaptal  ou Henderson (2,3). Le conseil international des infirmières (CII) le reconnaît comme un rôle clé de la profession. Cependant ce terme n’apparait pas en tant que tel en France dans notre code de déontologie. 


On peut le traduire par l’action d’engager un plaidoyer au bénéfice de quelqu’un. Dans la littérature, le concept d’advocacy possède les caractéristiques suivantes : protéger, informer, valoriser le patient, assurer une médiation, défendre la justice sociale dans les soins de santé (3).


Selon Christophe Debout : « l’advocacy consiste à permettre au patient d’user de ses droits et d’exprimer ses choix. L’infirmière agit au nom de ceux qui n’ont pas le pouvoir en tentant d’influer sur les décisions de ceux qui le détiennent. […] L’advocacy est abordé comme une nécessité légale et éthique en situation de fin de vie mais aussi lors d’un refus de traitement » (2). Pour l’infirmière canadienne Margot Phaneuf, le concept d’advocacy consiste à « soutenir le client dans la promotion et la défense de ses intérêts et de son bien-être tel qu’il les perçoit. » (4) L’advocacy s’intègre également dans le cadre législatif notamment dans la loi du 4 mars 2002 qui statut que toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé, de recevoir des informations loyales, claires et appropriées, ainsi que l’accès égal aux soins.


En quoi l’infirmière peut-elle avoir un rôle de plaidoyer pour les patients ? 


Mr B a 78 ans. Ancien chef d’entreprise au rythme de vie très mondain, il vit avec sa femme et a une fille. Elles sont des ressources très importantes pour lui. Il est français mais a été adopté au Vietnam où il vécut ses vingt premières années. D’après sa famille, il a un tempérament pudique et réservé, parfois colérique, il exprime peu ses émotions.
Il est admis en médecine gériatrique pour un sepsis sévère à point de départ cutané, déséquilibre d’un diabète insulino-requérant et une somnolence en partie liée à la prise d’opiacés à haute dose. Il est polyvasculaire et souffre d’une AOMI sévère (artériopathie oblitérante des membres inférieurs) revascularisée par plusieurs pontages et stents. Mr B a de larges plaies chroniques au niveau des membres inférieurs avec ostéite chronique. Je le rencontre suite à une demande de son médecin référent pour aide à la prise en charge des plaies.
Une amputation du pied gauche lui a été proposée il y a plusieurs mois, Mr B refuse. Lorsque les médecins abordent cette question avec lui et l’engagement de son pronostic vital à chaque septicémie, il stoppe très vite la discussion et déclare préférer « vivre avec sa jambe quoi qu’il arrive ». Son état général est altéré, il ne marche plus mais réussit à effectuer ses transferts. Sa femme, que je rencontre régulièrement, s’inquiète pour son devenir. 
Sous antibiotiques l’infection se résorbe, le diabète s’équilibre. Les soins de plaies sont néanmoins longs et douloureux. La possibilité du retour à domicile est remise en question du fait de sa perte d’autonomie, de la récurrence des infections et son état cognitif (non évalué formellement compte tenu de l’aspect somatique aigue). Les soins se poursuivent en soins de suite et réadaptation. Trois semaines plus tard lors d’un nouveau point sur sa situation, il exprime clairement et plusieurs fois son accord pour l’amputation. Une infection à la Covid mettra en suspend ce projet.
Mr B est en situation de soins complexe. Pour une prise en soins efficace et personnalisée, il est nécessaire de prendre en compte de nombreux paramètres au sein d’une réflexion interprofessionnelle et coordonnée. En effet les données médicales sont insuffisantes pour rendre compte de la complexité de la situation.
Claude Curchod, cadre infirmier en Suisse, s’appuie sur les travaux d’Edgar Morin pour expliquer que « La complexité biologique de l’être humain se complète par une complexité cognitive, psychologique, sociale et spirituelle. […] ce n’est pas sans raison que les soins infirmiers revendiquent une individualisation des soins, bien conscients que ces multiples dimensions conduisent chaque patient à des représentations, compréhensions, des émotions, des comportements, des actions et réactions en partie uniques, en fonction de ses gênes, de son histoire, de sa culture, de son éducation, de ses sensibilités, de ce dont il est conscient ou inconscient. » (1)


Curchod rappelle que « souvent peu de chose sépare le oui du non. […] Parfois même, le oui et non coexistent même si seul l’un d’entre eux s’exprime ouvertement. Il suffit d’une pression indirecte des soignants ou de la famille pour que la pensée réelle du malade ne puisse s’exprimer, à moins qu’il ne trouve tout simplement pas le chemin pour formuler les ambivalences présentes en lui. » (1) 
Pour les soignants, ces situations ne sont pas toujours faciles à accepter tant certains choix thérapeutiques peuvent sembler évidents. Pour Curchod, la coexistence du oui et du non représente mieux la volonté du patient qu’un choix tranché (1). Dans le respect du principe d’autonomie et de consentement pleinement éclairé, l’advocacy place le malade en capacité de décider par lui-même et respecte ses choix même lorsque ceux-ci engendrent des risques. Les concepts d’autonomie et d’empowerment sont des concepts voisins. (2,3,4).


Je poursuis l’accompagnement de Mr B et de l’équipe en unité Covid. Globalement son état s’améliore. Cependant, il est souvent agité et crie lors de moment de confusion ou d’accès douloureux intenses. Associés au moment de la toilette, les soins de plaies durent 1h30 quotidiennement. Je pense que la question de l’amputation doit de nouveau être posée.
En partenariat avec l’équipe mobile douleur et la psychologue qui accompagnent Mr B et sa femme, j’organise une réunion de concertation pluridisciplinaire avec les infirmières, les aides-soignantes, le médecin référent et le médecin vasculaire. Nous échangeons à propos de la possibilité d’une amputation trans-tibibiale de la jambe gauche et trans-métatarsienne du pied droit. Les bénéfices attendus de l’amputation ainsi que les risques sont exposés d’emblée :
-    Arrêt du sepsis chronique et du risque de choc septique
-    Diminution des douleurs neuropathiques liées à l’ischémie critique des deux jambes.
-    Amélioration sur le plan cognitif en partie grâce à la diminution des antalgiques 
-    Globalement, pouvoir lui proposer une meilleure qualité de fin de vie 


Les risques concernent les effets potentiellement confusiogènes de l’anesthésie générale, la fragilité globale de Mr B et la part d’incertitude dans cette situation complexe. Depuis son entrée dans l’unité Covid et malgré une altération de l’état général importante, Mr B a montré un tempérament déterminé et des ressources physiques. Il retrouve progressivement des capacités fonctionnelles en utilisant notamment ses membres supérieurs et participe activement aux soins. Il mange de nouveau seul l’intégralité de ses repas, les critères de dénutrition s’améliorent, il se mobilise par lui-même dans le lit, utilise la potence, va au fauteuil tous les jours à l’aide du lève malade.


Les moments de confusion sont moins fréquents. Malgré un manque de repères temporo-spatiaux parfois important, on parvient facilement à le réancrer dans le contexte actuel de sa prise en charge. Il se trouve alors à nouveau capable de raisonnement déductif et construit, qui aboutit à son accord renouvelé pour l’amputation « je suis partant pour l’amputation si c’est la condition pour vivre ». L’amputation est néanmoins encore à ce jour difficile à accepter. Tristesse et peur sont exprimées lors des soins que nous faisons ensemble. Il pose chaque jour les mêmes questions concernant les alternatives à l’amputation qui consistent, par des pansements quotidiens, à assécher ses plaies pour limiter l’aggravation progressive et la récidive infectieuse.


Avec l’aide de l’équipe mobile douleur, nous avons atteint un équilibre satisfaisant sur le plan antalgique notamment en position assise au fauteuil la journée. Néanmoins ses douleurs neuropathiques des membres inférieurs liées à son artérite influent beaucoup sur son comportement. Il reste douloureux au lit, surtout au réveil, malgré l’installation en déclive. Cette réunion étant également un moment de partage d’informations, nous échangeons sur les capacités de Mr B, ses progrès et objectifs de soins. A ce stade, la réfection des pansements doit être faite en associant plusieurs antalgiques, aux délais d’action différents, et si possible en musique pour aider à la détente et à la distraction.


A partir des demandes de Mr B, j’aborde également la question de la possibilité d’appareillage des moignons, qui semble actuellement compromise du fait de l’altération cognitive mais qui, selon le médecin vasculaire, n’est pas exclue dans l’espoir que la diminution des antalgiques permette une amélioration cognitive. Avec la psychologue nous présentons à l’équipe le projet de vie évoqué avec le patient et sa femme. Une institutionnalisation (USLD ou maison de retraite) est envisagée devant la dépendance croissante du patient et l’incapacité physique et psychologique exprimée par sa femme de pouvoir l’accueillir à domicile.  Il y a un fort consensus de l’équipe soignante sur une volonté d’axer la prise en charge sur l’amélioration du confort du patient. Les médecins prennent la décision d’adresser Mr B en chirurgie. J’accompagne Mr B et sa femme, à leur demande, lors de la consultation, pour soutenir ses capacités de raisonnement à travers la reformulation, l’information et le rappel du contexte de sa prise en charge. Cela favorise un consentement pleinement éclairé et diminue l’appréhension du rendez-vous.


L’intervention chirurgicale a lieu la semaine suivante. Une nouvelle intervention et de nombreuses complications diverses suivront. Mr B sortira six mois plus tard de rééducation, en fauteuil roulant, sous antalgique de pallier 1, dans une maison de retraite à côté du domicile de sa femme. Un séjour en centre de réadaptation sera organisé pour mise en place de prothèses. 


Quelle contribution de l’infirmière dans le rôle d’advocacy ? 


Pour C. Debout, le concept d’advocacy a un fort ancrage humaniste dans l’éthique du care et dépend du paradigme auquel adhère le soignant (2,3). Il s’agira alors pour l’infirmière d’investir le rôle d’avocat du patient, de chercher à lui redonner du pouvoir d’agir et d’affirmation de ses choix. Le paradigme des soins infirmiers considère le patient comme un partenaire co-décisionnaire et valorise ses capacités à travers ses ressources. La prise en soins des patients âgés ne diffère pas sur ce point et doit aller au-delà de l’image d’incapacité liée au vieillissement ou aux troubles cognitifs. Ancrée dans le paradigme de la transformation, la théorie de soins infirmiers fondés sur les forces développée par Gottlieb m’engage à considérer Mr B comme un être unique avec ses forces et ses vulnérabilités. 
La proximité entre l’infirmière et le patient permet d’établir une alliance thérapeutique et de mieux accéder à ce qui fait de lui un être singulier (2). Christophe Debout nous dit: « l’infirmière est ainsi à même de repérer le caractère vulnérable d’une personne quant à l’affirmation de ses choix personnels » . Le rôle d’advocacy vise à influencer le processus décisionnel en faveur des souhaits du patient. Ainsi la place de l’infirmière lors de l’élaboration d’une décision collégiale est alors primordiale (3). Dans son analyse du concept d’advocacy à travers la méthode de Walker et Avant (3), C. Debout liste les antécédents (éléments qui précèdent l’apparition du concept) liés au patient et aux soignants. Pour Mr B, vulnérable en situation d’hospitalisation dans un contexte de troubles cognitifs multifactoriels, d’aggravation progressive, il existe un risque de consentement insuffisamment éclairé. La bonne connaissance du patient par les soignants et l’envie de faire valoir ce qu’il souhaite ont favorisé une dynamique d’équipe 


Dans la situation de Mr B, lors de la réunion de concertation, j’ai donc investi le rôle d’advocacy à travers deux axes d’interventions :

- Engager un plaidoyer pour Mr B via les données cliniques recueillies ces dernières semaines. En lien avec la théorie de Gottlieb, mes interventions consisteront, en association à mon expertise en cicatrisation, à identifier et à m’appuyer sur les forces de Mr B, plutôt que de me focaliser sur ses déficits. Mon rôle sera aussi de l’informer sur sa situation, les objectifs des soins et de l’accompagner dans son processus décisionnel en partenariat avec la psychologue.
En effet, avant d’engager ce plaidoyer, il est nécessaire de renforcer le pouvoir d’agir du patient à travers l’information et l’éducation mais aussi de recueillir ses souhaits et attentes pour un consentement pleinement éclairé. C. Debout met en garde sur cette notion de consentement éclairé qui est prégnante dans ce concept mais exige d’être mise en perspective de tout paternalisme ou relation de pouvoir asymétrique (2). Tous les professionnels de santé peuvent jouer le rôle d’advocacy.

- En lien avec ma mission transversale d’infirmière spécialiste clinique, je choisi de soutenir et de valoriser l’engagement et l’investissement des soignants, en leur proposant de prendre la parole lors de cette réunion. Les infirmières et aides-soignantes du service ont été porteuses d’informations et de la voix de Mr B notamment grâce au temps passé à son chevet.  


L’exercice de ce rôle apporte des bénéfices tels que l’assertivité, la satisfaction du professionnel et leur donne une place dans l’interprofessionnalité (2,3). Toutefois Phaneuf rappelle que le rôle d’advocacy exige des compétences, de l’autonomie professionnelle mais aussi « rectitude dans ses jugements, courage, affirmation de soi, doigté, savoir-faire, politesse et pondération au moment de l'intervention ». Notons le risque de s’exposer à de la frustration ou à des conflits qui peuvent être un frein à s’engager dans un plaidoyer. (2, 3, 4)   


Pour conclure, le refus ou l’acceptation des soins peut également être sous l’influence des familles. Il est donc essentiel de prendre en compte les relations intrafamiliales et la singularité du patient à travers son récit de vie. La relation de confiance et le temps sont nécessaires au cheminement des décisions. Enfin, interprofessionnalité, partenariat et collégialité sont des gardes fous de la justesse des décisions prises dans les situations de soins complexes et de l’éthique de ces prises en charge.

 

Nadège ECORCHEVILLE


Bibliographie : 
1.    Curchod C. (2019) Les situations de soins complexes. Un défi à relever pour les infirmières. Seli Arslan. 240 p

2.    Debout, C. (2012). Advocacy (nursing advocacy). Dans : Monique Formarier éd., Les concepts en sciences infirmières : 2ème édition (pp. 53-56). Toulouse: Association de Recherche en Soins Infirmiers. https://doi.org/10.3917/arsi.forma.2012.01.0053"

3.    Etudiants du master sciences cliniques en soins paramédicaux promotion 2020-2022. 15 décembre 2021. L’advocacy en santé. [Webinaire] https://www.youtube.com/watch?v=Yi17er2S20Q 

4.    Phaneuf, M. (2013). Le concept d’advocacy en soins infirmiers. Consulté sur http://www.prendresoin.org/?p=2444