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Clinique infirmièrepar le collectif Hélianthe

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Nous sommes huit infirmiers spécialistes cliniques, avec des modes d'exercices et des disciplines différents, mais réunis par une même vision du soin et une même volonté: valoriser la clinique infirmière.

De la dépendance vers l'autonomie

03/06/2022

De la dépendance vers l'autonomie

Dépendance et autonomie, deux concepts similaires, opposés ou complémentaires ? Virginie Tardivel illustre ces concepts au travers de l'histoire d'une patiente rencontrée en dialyse.

Les termes d’autonomie et de dépendance ne sont pas opposés car l’autonomie se réfère au libre arbitre de la personne alors que la dépendance est définie par le besoin d’aide. Les causes de la dépendance sont variées avec l’intrication de facteurs médicaux, psychiques et sociaux.


La dépendance est un concept polysémique. D’un point de vue addictologique et selon la 9ieme édition du dictionnaire de l’Académie Française, la dépendance est « un asservissement à un produit nocif, à une drogue, dont l’absorption répétée a créé un besoin impérieux ». Goodman définie l’addiction comme « un processus dans lequel est réalisé un comportement qui peut avoir pour fonction de procurer du plaisir et de soulager un malaise intérieur, et qui se caractérise par l’échec répété de son contrôle et sa persistance en dépit des conséquences négatives » (1).

 

L’autonomie regardée simplement sur ce versant décisionnel trouve une considération dans les textes législatifs qui gravitent et interfèrent dans nos pratiques soignantes. En étant codifiée dans le Code de la Santé Publique (CSP), la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, exalte cette autonomie, de manière probante mais sans aucune limite. Et rien de plus gratifiant que de reconnaitre à celui qui est confronté à la maladie, un pouvoir de choisir, accepter ou refuser ce qu’on souhaite « faire de lui ». Les besoins doivent être satisfaits pour que la personne soit indépendante. Aussi, l’indépendance est définie comme l’atteinte d’un niveau acceptable de satisfaction des besoins de la personne qui adopte, en fonction de son état, des comportements appropriés ou qui accomplit elle-même des actions, sans l’aide d’autrui.

 

Complémentaires ?
Loin d’être antagonistes, ces deux concepts se révèlent au contraire étroitement corrélées. Plus la perte d’autonomie sera importante, plus elle accroit la dépendance. Mais si on accompagne la personne en l’aidant sans faire les choses pour elle, la dépendance sera moindre donc l’autonomie plus grande. 

C’est la situation de Mme L que je rencontre en octobre dernier à la demande de sa néphrologue. Mme L à 69 ans est présente une insuffisance rénale chronique (IRC stade terminale). Entièrement dévouée « par amour » , à son mari de 20 ans son ainé atteint de la maladie d’Alzheimer elle n’a pas observé les prémices de son IRC. Au décès de son époux il y a 2 ans, son état de santé se dégrade, des examens permettent de poser le diagnostic d’IRC et les dialyses débutent à raisons de 3 séances par semaine. Cette succession d’évènements, de deuils douloureux, font sombrer Mme L dans une dépression importante avec incurie, dénutrition et consommation d’alcool. 

 

J’aborde le sujet de son trouble de l’usage à l’alcool. Elle n’est pas dans le déni de ses consommations mais gênée elle explique : « Quand mon mari a commencé à être très malade je ne buvais pas d’alcool. Quand il est décédé, je me suis mise à boire de la vodka pour noyer mon chagrin. Ensuite, il y a eu l’annonce de mon insuffisance rénale. Je bois pour oublier ma maladie. Je sais que cela n’est pas bien pourtant mais … ». Le regard baissé, elle m’explique ne pas boire pour le plaisir mais pour ces effets.  Elle verbalise ressentir une grande solitude. Être isolée, fatiguée physiquement et psychiquement. Ses uniques sorties sont pour ses rendre en dialyse. Elle est plutôt pessimiste sur son avenir et ne pense pas avoir « de chance » d’être greffée au regard de son âge. Elle explique que venir à ses séances de dialyse et voir les autres patients est très dur moralement. Mais qu’elle apprécie malgré tous ces moments « je me sens bien ici, un peu comme chez moi. Et tout le monde est très gentil ». 

 

Mme L est peu entourée. Elle a une fille unique de 42 ans en couple sans enfants. Ils habitent près de son domicile. Son gendre lui fait ses courses alimentaires une fois par semaine. Sa fille l’appelle rarement. Mme L se confie d’une voix triste : « elle ne vient pas chez moi, elle dit que de me voir malade lui brise le cœur et qu’elle ne le supporte pas, alors elle préfère m’appeler ». Mme L n’a plus d’amie. Elle explique avoir coupé les ponts car trop déçue. Mais elle ne se plaint pas de cela. Par contre, elle évoque le manque d’un certain Léon. Son petit chien, que sa fille a pris en garde depuis 6 mois pour la soulager. « C’est mon compagnon, on est bien ensemble. Je l’ai depuis 6 ans. Ma fille ne travaille pas, elle me l’a pris pensant bien faire. C’est gentil mais les jours ou je ne suis pas en dialyse j’aimerai l’avoir. Il me manque beaucoup ». Elle a demandé à sa fille si elle pouvait le reprendre. La réponse fut négative: « je me suis attachée à lui ». 

 

Ses signes de tristesse de l’humeur, d’anorexie avec perte de poids, de ralentissement moteur, de fatigue, de perte d’énergie, de négligence physique ainsi que la durée supérieure à 1 an et demi des symptômes décrivent clairement une dépression majeure. Cela m’oriente vers la mise en place d’un suivi hebdomadaire psychologique associé à un traitement antidépresseur. Mon indication est validée par le médecin de mon service et la néphrologue qui suis Mme L. J’instaure un suivi addictologique rapprochée et vois la patiente chaque jeudi matin pendant ses d’hémodialyses. Également, un suivi hebdomadaire et mis en place par la psychologue du service de dialyse. 


Dès le premier entretien Mme L a arrêté l’alcool. Et l’explique avec beaucoup d’émotion : « personne ne sait jamais préoccupée de moi ! Vous me consacré du temps et de la bienveillance. J’ai pris conscience des choses, j’ai eu comme on dit un déclic ». Mme L a subi une maltraitance infantile physique mais surtout psychologique par sa mère.  Les mauvais traitements ont affecté son image d’elle-même, son aptitude à se faire confiance et à s’affirmer. Souhaitant absolument quitter le domicile familial à 19 ans elle s’est mariée. Elle a découvert rapidement que cet homme était lui-aussi maltraitant. Elle a fait le choix de rester au sein du foyer car ils venaient d’avoir un enfant. Lorsque sa fille a eu 23 ans, elle a demandé le divorce. Elle a rencontré un autre homme, qui est décédé il y a 2 ans. Avec lui, elle a connu « la douceur, la bienveillance et l’amour ». 


Une alliance thérapeutique est née au fil des entretiens. Très rapidement j’observe que notre relation est sécurisante pour Mme L. Cette relation est le socle sur lequel elle va pouvoir se reconstruire son image au monde, ainsi que sa propre identité. Un mois après elle va beaucoup mieux, toujours abstinente. Elle reprend doucement l’appétit et de l’énergie. Elle me fait part de son ennui hors des séances de dialyse. Je lui propose une aide à domicile, elle refuse expliquant qu’elle entretient seule son appartement. Je lui demande si elle accepterait d’avoir une personne de compagnie pour l’accompagner lors de ses promenades et pour ses courses. Elle qui explique se sentir faible par moment et ne jamais oser sortir de chez elle par peur de ne pas pouvoir revenir. Elle accepte cette idée. Je rencontre l’assistance sociale du service, nous mettons en place cette aide à raison de 2 heures, 2 fois par semaines. Quelques semaines plus tard, je reçois un mail du gendre de Mme L qui me faire part d’éléments. Selon lui, Mme L consomme toujours de l’alcool et il affirme qu’elle nous ment. Il explique que sa compagne et lui-même mettent volontairement de la distance dans leurs relations pour se protéger et lui montrer qu’ils sont déçus par ses agissements sous entendant ses alcoolisations. 
La semaine suivante, je vois Mme L. Elle a bonne mine, malgré son masque chirurgical je remarque un grand sourire. Elle est bien apprêtée et fière de mon montrer les bijoux qu’elle porte assortis à sa tenue. Elle m’explique être toujours abstinente à l’alcool. J’ai confiance en elle, j’ai confiance en notre relation. Dès notre premier entretien, j’ai précisé à Mme L que j’étais là pour l’aider, l’accompagner et non pour la juger ; qu’il était important que notre relation soit basée sur la confiance mutuelle. 
Lors cet entretien, elle me fait part d’un élément qui la dérange beaucoup. « Je n’ai pas de moyens de paiement, je n’ai même pas 30 centimes d’euros dans mon porte-monnaie. Mon gendre me les a retirés il y a plusieurs mois maintenant pour que je n’achète pas d’alcool dit-il ». Je lui demande si elle lui a donné son accord « bien-sûr que non !  Je lui ai demandé s’il pouvait me les rendre, il refuse et ma fille le soutient ». 

 

Selon Mill, personne ne peut contraindre ou obliger quelqu’un d’autre à agir différemment ou à s’abstenir de faire ce qu’il souhaite sous prétexte que cela serait meilleur pour lui (2). Mme L n’est pas entendue dans ses demandes. Elle souhaite avoir son chien les jours ou elle n’est pas en dialyse et récupérer ses moyens de paiements. Je propose à l’équipe médicale, paramédicale et sociale qui s’occupe de Mme L une rencontre avec la famille. 

 

Je m’interroge sur cette « privation » d’autonomie. Une autonomie qui semble se piéger derrière un processus d’infantilisation. Ce phénomène d’asymétrie relationnelle risque de cristalliser les valeurs de la famille. 


L’objectif de cette rencontre avec la famille est de faire entendre les demandes de la patiente et de rassurer la famille sur son abstinence. Il est alors essentiel de mettre en place des actions permettant de préserver son autonomie physique, psychique, sociale et juridique. La maladie, le handicap et le vieillissement ne doivent pas entraver cette possibilité. Je souhaite également leur faire comprendre que de la priver de ses moyens de paiements n’est pas la solution pour garantir une abstinence bien au contraire. La frustration et la honte conduisent très souvent à la reconsommation. Mme L ne présente pas de démence, elle a des ressources personnelles et financières. L’évaluation physique et psychique de la patiente ne justifie pas la mesure mise en place par sa fille et son gendre.  

 

Chaque partie prenante accepte cette réunion. Deux semaines plus tard nous nous rencontrons avec la présence de Mme L.  Je suis fière d’elle, elle a réussi à formuler ses demandes devant toute cette assemblée et particulièrement devant sa fille et son gendre. Cela représente un effort conséquent pour elle, à qui on a toujours demandé de se taire.

 

Cela fait maintenant 3 mois que je vois Mme L. Elle a récupéré ses moyens de paiements, va se promener avec Léon et la dame de compagnie. Elle est totalement abstinente à l’alcool. Elle va beaucoup mieux, elle a retrouvé l’appétit, se coiffe, se maquille et s’apprête pour venir en dialyse. Mme L montre ses capacités d’autonomie à sa fille et son gendre pour gagner leur confiance. Au cours de nos entretiens motivationnels renforçant son abstinence j’ai également travaillé l’affirmation de soi en fonction de l’histoire de Mme L. Elle a ainsi maitrisé son environnement mais aussi son autolimitation. Consciente de ses capacités et de ses besoins, elle agit en responsabilité. Elle gère ses dépendances ou plus précisément l’interdépendance à autrui.

 

Des concepts voisins, qui se complémentent et qui font sens dans cette situation clinique :

-    Celui de la responsabilité : décider pour soi selon des critères personnels, faire des choix, en état de conscience, mesurer les risques et en assumer les conséquences.
-    D’indépendance : la capacité à réaliser ses activités journalières sans l’aide d’un tiers.
-    Et celui d’empowerment, comme le décrit Allen les soins infirmiers aident la personne à développer son propre potentiel de santé. Récemment Mme L m’a dit : « Je remercie la vie de m’avoir donné cette maladie. Grâce à elle j’ai fait des rencontres.  Je ne me suis jamais aussi bien senti qu’aujourd’hui, merci ».


Jusqu’où pouvons aller dans le respect de l’autonomie ? La reconnaissance des choix du patient est devenue une réalité. Une communication adaptée, une bonne connaissance de la personne, la considération positive inconditionnelle et la pratique réflexive soutiennent l’autonomie de la personne. Pour que le patient ne soit pas submergé par sa fragilité du moment. Il est intéressant de ne pas se figer sur le présent de l’entretien et d’imaginer également avec lui un devenir, devenir dans lequel il pourra aller mieux (3). En préservant l’autonomie on tient compte de l’intégrité du moi.


La vie est un juste équilibre de périodes de dépendances, d’interdépendances et d’indépendances.

 

Virginie TARDIVEL

 

Sources:

(1) http://psydoc-fr.broca.inserm.fr/

(2) Mill (J.S), De la liberté (1859). Ed Presses Pocket, Paris, 1990, p.39.

(3) Badin de Montjoye, B. (2012) L’établissement d’un lien thérapeutique en addictologie.