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Clinique infirmièrepar le collectif Hélianthe

Promouvoir la pensée infirmière

Bienvenue sur le site du collectif Hélianthe. C'est un site destiné à tous ceux s’intéressant aux soins infirmiers. Notre objectif est de valoriser les sciences infirmières mais surtout de l'articuler avec notre pratique clinique quotidienne, les rendant plus concrètes. Une théorie de soins ou l'utilisation de concepts ne sont pas là pour complexifier et scientifiser inutilement notre profession. Cela apporte un éclairage nouveau sur une situation, enrichit notre réflexion et nos échanges, nous ancre dans une vision de la santé, de la personne et de son environnement ainsi que des soins infirmiers.

 

Nous sommes huit infirmiers spécialistes cliniques, avec des modes d'exercices et des disciplines différents, mais réunis par une même vision du soin et une même volonté: valoriser la clinique infirmière.

Réflexion sur la complexité des soins en service de réanimation

15/04/2023

Réflexion sur la complexité des soins en service de réanimation

Nous connaissons tous ces moments où nous avons peu de patients sous notre responsabilité mais nous sommes débordés par la complexité des prises en soins. Quand peut-on dire qu'une situation clinique est complexe? Katia Nadaud-Moreau nous propose des éléments de réponse et des actions concrètes à mettre en place en service de soins.

En 2021, 270 000 patients ont nécessité un passage en service de réanimation (ATIH, 2022). Les services de soins intensifs sont des milieux hostiles (Sanson et al., 2021) et l’expérience d’un séjour en réanimation entraîne des répercussions sur la qualité de vie des patients tant physiques que psychologiques. Ce traumatisme a été qualifié de Trouble de Stress Post Traumatique (TSPT). Le référentiel de structure et d’organisation matérielle et humaine rédigé par les sociétés professionnelles représentatives de l’activité (Fourrier, 2010) recommande de favoriser le bien être des patients dans le cadre du mieux vivre la réanimation. Le patient est devenu personne et les interrogations sur son vécu et sa qualité de vie font évoluer les relations entre les patients, les familles et les soignants (Chahraoui et al., 2015, p. 12). La durée moyenne de séjour oscille entre 4 et 6 jours selon les périodes. Il arrive cependant (nous l’avons plus particulièrement expérimenté pendant la pandémie de Covid) que des patients restent plusieurs semaines hospitalisés du fait de la gravité de leur état physiopathologique ou en attente d’un service d’aval. 
C’est dans ce contexte là qu’une réflexion a émergé autour de certaines situations vécues comme difficiles pour les équipes.  Un groupe de réflexion éthique constitué d’infirmiers, d’aides-soignants, de cadres, de la psychologue et de médecins réanimateurs a souhaité proposer des réunions interprofessionnelles autour de ces situations dites complexes. L’objectif principal est de proposer une vision partagée entre les différents professionnels de la situation du patient. Nous avons dû définir ce qui relevait d’une situation dites complexes et élaborer un guide de recueil des informations en nous aidant des expériences d’autres services. 

 

La complexité, un concept à géométrie variable

 

Nous commencerons donc par définir ce qu’est une situation de soins dite complexe.
En 2022, une revue de la littérature menée sur 83 articles met en évidence l’hétérogénéité de la définition des patients complexes. 
Les domaines identifiés comme relevant de la complexité sont, la santé, la démographie, le comportement, les facteurs socio-économiques, le système de santé, la prise de décision médicale et l'environnement.
Pour répondre à cette difficulté de reconnaissance de la complexité près de la moitié des services utilisent des échelles afin de déterminer le niveau de complexité (43.4%). Moins de 10% utilisent un modèle conceptuel, jugé non adapté à la mise en place clinique.
On retrouve deux visions de la complexité ; une centrée sur la pathologie et l’autre encourageant la vision holistique de la situation.
Dans le premier cas, l’échelle la plus fréquemment retrouvée est l’index de morbidité de Charlson (CCI) (Figueiredo, 2009). Cet index évalue la comorbidité en considérant le niveau de sévérité de 19 troubles de comorbidité prédéfinis. 
 


Score de comorbidité de Charlson ajusté à l’âge (Définitions et scores Observatoire du FROG.pdf, 2013.)

 

Sur le long terme, l’âge apparait aussi comme un facteur de morbidité à prendre en compte (Charlson et al., 1987) qui pondère cet index. 
Pour les services recensant les éléments de complexités en explorant des domaines plus larges que la pathologie seule, l’échelle la plus couramment utilisée est celle d’INTERMED. Elle explore la situation du point de vue biologique, psychologique, social mais aussi les possibilités d’accès aux soins. Cette exploration tend vers une définition de la santé plus actuelle et multifactorielle.
L’échelle INTERMED semble adaptée et sensible à la prise en compte des  conditions médicales complexes, des réactions physiologiques sévères tout en explorant les domaines psychosociaux (Thurber et al., 2018). Au total, 21 outils de gestion de la complexité des patients peuvent être utilisés (Kaneko et al., 2022). Une approche holistique incluant les facteurs biopsychologiques, culturels, socio-économiques et environnementaux, ainsi que les perspectives des patients, semble la plus appropriée. »(Nicolaus et al., 2022)

 

La charge en soins , indicateur de complexité pondérateur

 

La charge en soins comme facteur de complexité a été étudié notamment autour de la problématique de transfert du patient hors de soins intensifs (Sanson et al., 2020) afin de sécuriser la prise en charge dans les services d’avals.
La sortie des soins intensifs est un moment critique pour le patient qui peut se sentir en insécurité du fait de l’arrêt de surveillance continue. Pour les équipes de soins intensifs la décision du moment du transfert (hors nécessité fonctionnelle) fait aussi parti des jugements cliniques délicats. Les équipes receveuses sont elles aussi soumises à une prise en charge nécessitant une attention et une surveillance particulière pour s’assurer de la stabilité du patient.
 


Fig. 1. Le score d'acuité et de complexité du patient (PACS)(Sanson et al., 2020). 

 

La vision holistique centrée sur le patient prenant en considération la réalité de l’activité de chacun des intervenants tout en recueillant les problématiques centrées sur le patient implique le recueil des éléments de complexité en interprofessionnalité. 
Nous avons créé un outil de recueil de données synthétisant les recommandations en y intégrant les différents domaines de complexité. Nous n’avons pas fait le choix d’y intégrer une échelle sélectionnant les patients complexes. L’équipe y voyait un outil de sélection contraignant. Pour les débuts de l’expérimentation, nous nous baserons sur le signalement d’une situation complexe par les soignants.  

 

Définir la participation de chacun des acteurs

Une approche multidisciplinaire semble essentielle pour élaborer des protocoles d'interventions efficaces et cerner les multiples dimensions de la situation.
Cependant, aucune étude n'a envisagé de partager des informations ou des plans d'action avec des équipes multidisciplinaires tout en mesurant les résultats pour les patients complexes (Kaneko et al., 2022). 
L’utilisation de l’adjectif interprofessionnel pour qualifier la prise en soins renforce l’intention du  « travailler ensemble » autour d’un objectif commun et non en parallèle et  se distingue des termes multidisciplinaires et interdisciplinaires. (Donovan et al., 2018) 
La notion de travail d’équipe est régulièrement questionnée dans les services de soins intensifs au regard de la charge de travail et des multiples compétences mobilisées pour stabiliser les situations critiques. Le binôme infirmier/ aide-soignant est essentiel. Les équipes de soins sont définies comme « un groupe cohésif avec une identité d'équipe partagée, de la clarté, de l'interdépendance, de l'intégration et une responsabilité partagée » (Reeves S, Lewin S, Espin S, et al, 2010).
Les nouveaux décrets régissant les activités des services de soins intensifs affirment la nécessité d’une équipe pluri professionnelle constituée de médecins, d’infirmiers, d’aide-soignant, d’un  masseur-kinésithérapeute, d’une psychologue et « en tant que de besoin » un diététicien, un ergothérapeute et du personnel à compétence biomédicale (Décret n° 2022-694 du 26 avril 2022 relatif aux conditions techniques de fonctionnement de l’activité de soins critiques, 2022).
La littérature anglo-saxonne mentionne d’autres intervenants comme les travailleurs sociaux, les gestionnaires de cas (facilitateurs de parcours et de transition), des intervenants en soutien spirituels (religieux ou non), les pharmaciens.

 

Quel mode de fonctionnement ?

Après l’étude des différentes possibilités de recueil d’information permettant de qualifier la complexité d’une situation nous avons élaboré un projet de fonctionnement.  Afin que cette pratique devienne un réflexe nous avons fait le choix de proposer un jour défini et un rythme hebdomadaire. Cela n’engendrera pas une réunion systématique mais systématisera la réflexion et l’évaluation de la complexité des patients accueillis. L’expérience d’un service équivalent à un service de post réanimation sur l’hôpital de Lausanne confirme que « le développement du travail en réseau interprofessionnel au sein de l’équipe, à travers des points de discussion réguliers et un colloque hebdomadaire, a permis d’améliorer ces prises en charge et la satisfaction des équipes. »(Benmachiche et al., 2022)
Le jeudi matin un cadre échangera avec l’équipe infirmière et aide-soignante pour relever la nécessité d’une réunion interprofessionnelle. Si tel est le cas elle relèvera autant que possible les éléments nécessaires à la compréhension de la situation et informera les professionnels concernés de la tenue de cette réunion en unité à 15h. Le déclenchement de cette réunion pourra être aussi à la demande du médecin, du kinésithérapeute ou de la psychologue. 
Un compte rendu écrit sera ensuite scanné et archivé dans le dossier informatisé du patient.

La réflexion sur cette thématique a permis d’échanger sur la vision de chacun d’une prise en soins complexe. Le tempo de l’hospitalisation en soins intensifs est, on le sait, différent pour le patient, ses proches et les soignants mais à l’intérieur du groupe soignant, il est aussi hétérogène. Le ressenti d’une situation complexe intervient parfois dans une temporalité différente   suivant les professionnels. . Je revois la sidération d’une infirmière devant les propos d’un réanimateur lui affirmant que sa charge de travail était légère car elle n’avait plus que deux patients sans assistance respiratoire. Les patients en question étaient tous deux en surpoids, avec des difficultés de mobilisation et un besoin en accompagnement des autosoins quasi-total. Les besoins d’accompagnement évoluent et il est essentiel qu’un temps d’échange existe. 


Nous réaliserons une première évaluation après un trimestre d’activité en nous basant sur la satisfaction de l’équipe et le nombre de situations complexes étudiées. L’amélioration de la prise en charge semble difficile à évaluer auprès de patients encore affaiblis au moment de la sortie mais une évaluation auprès des proches sur la cohésion des informations dispensées peut être envisagée.

 

Bibliographie

ATIH. (2022). Chiffres clés de l’hospitalisation 2021. https://www.atih.sante.fr/chiffres-cles-de-l-hospitalisation
Benmachiche, M., Gertsch, M., Giordano, F., & Claivaz, V. (2022). Patients en situation complexe aux soins intermédiaires de médecine interne. Exemple d’interprofessionnalité. Revue Médicale Suisse, 18(805), 2213‑2217. https://doi.org/10.53738/REVMED.2022.18.805.2213
Chahraoui, K., Laurent, A., & Bioy, A. (2015). Vulnérabilité psychique et clinique de l’extrême en réanimation. Dunod.
Charlson, M. E., Pompei, P., Ales, K. L., & MacKenzie, C. R. (1987). A new method of classifying prognostic comorbidity in longitudinal studies : Development and validation. Journal of Chronic Diseases, 40(5), 373‑383. https://doi.org/10.1016/0021-9681(87)90171-8
Décret n° 2022-694 du 26 avril 2022 relatif aux conditions techniques de fonctionnement de l’activité de soins critiques, 2022-694 (2022).
Définitions et scores Observatoire du FROG.pdf. (s. d.). Consulté 28 mars 2023, à l’adresse http://www.frog-oncogeriatrie.com/frogdocs/D%C3%A9finitions%20et%20scores%20Observatoire%20du%20FROG.pdf
Donovan, A. L., Aldrich, J. M., Gross, A. K., Barchas, D. M., Thornton, K. C., Schell-Chaple, H. M., Gropper, M. A., Lipshutz, A. K. M., & on behalf of the University of California, S. F. C. C. I. G. (2018). Interprofessional Care and Teamwork in the ICU. Critical Care Medicine, 46(6), 980. https://doi.org/10.1097/CCM.0000000000003067
Figueiredo, S. (2009). Charlson Comorbidity Index (CCI) – Strokengine. https://strokengine.ca/fr/assessments/charlson-comorbidity-index-cci/
Fourrier, F. (2010). Mieux vivre la réanimation☆☆☆. Réanimation, 19(3), 191‑203. https://doi.org/10.1016/j.reaurg.2010.03.001
Kaneko, H., Hanamoto, A., Yamamoto-Kataoka, S., Kataoka, Y., Aoki, T., Shirai, K., & Iso, H. (2022). Evaluation of Complexity Measurement Tools for Correlations with Health-Related Outcomes, Health Care Costs and Impacts on Healthcare Providers : A Scoping Review. International Journal of Environmental Research and Public Health, 19(23), Article 23. https://doi.org/10.3390/ijerph192316113
Nicolaus, S., Crelier, B., Donzé, J. D., & Aubert, C. E. (2022). Definition of patient complexity in adults : A narrative review. Journal of Multimorbidity and Comorbidity, 12, 26335565221081290. https://doi.org/10.1177/26335565221081288
Reeves S, Lewin S, Espin S, et al. (2010). Interprofessional Teamwork for Health and Social Care | Wiley. Wiley.Com. https://www.wiley.com/en-us/Interprofessional+Teamwork+for+Health+and+Social+Care-p-9781405181914
Sanson, G., Lobefalo, A., & Fascì, A. (2021). “Love Can’t Be Taken to the Hospital. If It Were Possible, It Would Be Better” : Patients’ Experiences of Being Cared for in an Intensive Care Unit. Qualitative Health Research, 31(4), 736‑753. https://doi.org/10.1177/1049732320982276
Sanson, G., Marino, C., Valenti, A., Lucangelo, U., & Berlot, G. (2020). Is my patient ready for a safe transfer to a lower-intensity care setting? Nursing complexity as an independent predictor of adverse events risk after ICU discharge. Heart & Lung: The Journal of Critical Care, 49(4), 407‑414. https://doi.org/10.1016/j.hrtlng.2020.02.003
Thurber, S., Wilson, A., Realmuto, G., & Specker, S. (2018). The relationship between the INTERMED patient complexity instrument and Level of Care Utilisation System (LOCUS). International Journal of Psychiatry in Clinical Practice, 22(1), 80‑82. https://doi.org/10.1080/13651501.2017.1353635

 

Katia Nadaud-Moreau

Cadre, infirmière spécialiste clinique.