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Clinique infirmièrepar le collectif Hélianthe

Promouvoir la pensée infirmière

Bienvenue sur le site du collectif Hélianthe. C'est un site destiné à tous ceux s’intéressant aux soins infirmiers. Notre objectif est de valoriser les sciences infirmières mais surtout de l'articuler avec notre pratique clinique quotidienne, les rendant plus concrètes. Une théorie de soins ou l'utilisation de concepts ne sont pas là pour complexifier et scientifiser inutilement notre profession. Cela apporte un éclairage nouveau sur une situation, enrichit notre réflexion et nos échanges, nous ancre dans une vision de la santé, de la personne et de son environnement ainsi que des soins infirmiers.

 

Nous sommes huit infirmiers spécialistes cliniques, avec des modes d'exercices et des disciplines différents, mais réunis par une même vision du soin et une même volonté: valoriser la clinique infirmière.

L’utilisation du MEOPA en systématique pour les soins potentiellement douloureux en pédiatrie ?

30/06/2023

L’utilisation du MEOPA en systématique pour les soins potentiellement douloureux en pédiatrie ?

La gestion de la douleur est une problématique au sein des équipes, surtout dans les services d'urgences pédiatriques. Pauline Villemont nous présente une consultation de seconde ligne réalisée sur la question de l'utilisation du MEOPA. 

Introduction
Dans les hôpitaux parisiens, les infirmiers restent en moyenne trois ans dans les services d’urgence (données issues des DADS : déclarations annuelles de données sociales). Cette rotation signe un renouvellement très régulier d’une partie des équipes mais aussi parfois une remise en cause de la compétence globale (compétences ajoutées de tous les membres d’une institution, combinaison de compétences individuelles, collectives et organisationnelles)(1). Dans les Services d’Accueil des Urgences (SAU) pédiatriques des hôpitaux franciliens, ce phénomène est particulièrement présent étant donné que la majorité des recrutements infirmiers se fait en sortie de formation initiale, sans enseignement des soins pédiatriques. 
En tant qu’Infirmière Spécialiste Clinique (ISC), j’ai été sollicitée, dans ce contexte, sur la qualité de la prise en charge de la douleur dans un service d’urgences pédiatriques. Le questionnement principal, émanant des professionnels, concernait l’utilisation ou non du MEOPA (mélange équimolaire oxygène-protoxyde d'azote) en systématique durant la réalisation de soins potentiellement douloureux. Cet analgésique de faible puissance, anxiolytique et euphorisant sous forme de gaz (composé d’un mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde d’azote) entraîne une sédation avec préservation des réflexes du carrefour pharyngolaryngé. Ce questionnement, récurrent et source de difficultés, m’a semblé particulièrement intéressant à travailler dans le cadre de la consultation de seconde ligne. En effet, c’est « une compétence qui implique un processus, une série d’étapes permettant l’amélioration d’une situation insatisfaisante ou la résolution d’un problème »(2).

 

Présentation du lieu et de l’équipe
Le SAU pédiatrique dans lequel j’ai réalisé ce travail accueille des patients, âgés de la naissance à la veille des 16 ans, consultant pour des urgences médicales et chirurgicales. La présence médicale et chirurgicale est continue. La collaboration entre l’équipe médicale et les professionnels paramédicaux est étroite. Elle est aussi effective avec les différents services de médecine, de chirurgie, les blocs opératoires et le plateau technique radiologique et biologique.  
Une centaine de professionnels se relaie 24h/24 afin d’assurer les missions du service. L’équipe est composée de deux cadres de santé puériculteurs, une cinquantaine d’Infirmière Diplômée d’Etat (IDE) dont un dixième de Puéricultrice Diplômée d’Etat (PDE), une infirmière puéricultrice référente, une trentaine d’Auxiliaires de Puériculture (AP), un logisticien, trois secrétaires médicales, une cheffe de service, une dizaine de médecins seniors, une dizaine d’ internes en médecine (renouvelés tous les semestres) et une vingtaine d’ externes en médecine (renouvelés tous les trimestres). L’équipe paramédicale travaille en 12h et se réparti les différentes missions du service. L’équipe médicale est conséquente au flux les jours ouvrés et fonctionne avec un système de garde pour la nuit, les we et les jours fériés. Des étudiants paramédicaux et médicaux sont accueillis tout au long de l’année.

 

Présentation de la situation

 

Historique
Durant 30 ans, ce service a mis en œuvre le projet de service suivant : assurer la prise en charge des patients de façon à ce qu’il n’y ai aucune perte de chance pour ceux nécessitant une prise en charge immédiate. Un certain nombre de protocoles a été rédigé en ce sens afin que chaque professionnel observe des pratiques de soins ayant un même objectif : optimiser la prise en charge de chaque patient au regard du degré d’urgence de son état de santé. La nécessité de prodiguer des soins de qualité était également un pilier fort du projet de service avec notamment la prise en charge de la douleur. Cependant, la mise en œuvre était peu détaillée et les pratiques de soins dépendait de la compétence individuelle de chacun. Les méthodes de lutte contre la douleur induite lors des soins étaient plus dépendantes de la volonté individuelle qu’issues d’un réel consensus. Malgré les recommandations des différentes autorités sur la gestion de la douleur(3), la gestion du flux des patients restait la principale préoccupation.
Le changement de chef de service combiné à l’informatisation du dossier patient a constitué une période particulièrement éprouvante pour toute l’équipe. Cependant, cette période de transition a fait émerger de nouveaux questionnements. Ce qui n’était jusqu’alors pas discuté en équipe a émergé subtilement. Les jeunes collègues recrutés récemment n’avaient pas connaissance du fonctionnement antérieur. Ils interrogeaient donc les pratiques au regard de ce qu’il leur avait été enseigné pendant leurs études. Des écarts étaient pointés du doigt mais la discussion était difficile car le fonctionnement actuel avait toujours été et ce, pour des raisons qui appartenaient à l’histoire du service.
Le sujet qui a particulièrement mis l’équipe en difficulté est celui de la prise en charge de la douleur induite lors des soins et plus particulièrement celui de l’utilisation du MEOPA lors des soins potentiellement douloureux. L’utilisation de ce gaz avait toujours été très réglementée étant donné que c’est un médicament classé parmi les stupéfiants. Il y a une vingtaine d’années, lors de l’introduction du MEOPA dans le service, la bouteille était entreposée dans un bureau fermé à clef et accessible de façon très partielle. Ses effets étaient peu documentés et son utilisation engendrait une source d’inquiétude pour l’équipe. Puis, au regard du bénéfice obtenu, la bouteille de MEOPA a été mise à disposition dans le poste de soins. Les indications restaient rares et les prescriptions l’étaient encore plus. Aujourd’hui, le service est doté de neuf fois plus de bouteilles pour prendre en charge la douleur des patients. La prescription médicale est quasi-systématique pour les patients n’ayant pas de contre-indications. Pour l’utiliser, il faut être infirmier ou médecin et avoir suivi une formation institutionnelle portant sur la réglementation, la mise en œuvre et les risques de ce dispositif. Le protocole institutionnel y est présenté et est à disposition dans tous les services de l’établissement. 


Difficulté rencontrée par les professionnels
De nombreuses années et une évolution majeur des pratiques sur la prise en charge de la douleur et les soins pédiatriques ont permis de franchir les étapes menant au fonctionnement actuel. Cependant, l’utilisation du MEOPA restait un sujet controversé dans le service et dépendait encore fortement de la volonté de l’équipe. Mais il était intégré à une problématique plus large : la gestion de la douleur induite par les soins dans le service. 
Plusieurs éléments déclencheurs ont relancé le questionnement lié à son utilisation:
-    L’analyse de dossiers de soins relevant une prise en charge de la douleur en-deçà des recommandations.
-    L’observation de la réalisation de soins sous contention forte, sans proposition de moyens antalgiques adaptés au patient refusant le soin
-    La difficulté pour obtenir des prescriptions médicales de MEOPA chez une certaine population de patient par refus de certains médecins.
-    La plainte de parents de patients pour lesquels aucune méthode de prévention de la douleur n’a été utilisée lors d’un geste douloureux.
-    L’opposition des infirmiers et des AP novices et expérimentés au regard de leurs pratiques de prise en charge de la douleur induite, lors de la réalisation des soins en binôme.
-    Le changement de chef de service qui avait l’habitude d’autres pratiques dans la réalisation des soins potentiellement douloureux.
Les discussions informelles sur le sujet ont été relancées, en opposant toujours les mêmes problématiques : la gestion du flux des patients et la prise en charge de la douleur induite. Un médecin référent « douleur » a été nommé et a créé un groupe de travail pluriprofessionnel sur le sujet. A priori, aucun accord n’a été trouvé et les pratiques sont restées telles quel. Puis, il a été décidé, par un mail du chef de service, que la proposition du MEOPA devait être systématique, pour tout patient de plus de trois mois, devant subir un soin potentiellement douloureux, en dehors des contre-indications référencées. Cette communication à l’ensemble de l’équipe a été très mal vécue par les infirmiers expérimentées du service, ayant le sentiment que leurs pratiques étaient qualifiées comme inadaptées et dévalorisées. Quant aux médecins du service, ils ont prescrit en quasi-systématique le fameux gaz. 


Sollicitation
De nombreux infirmiers et auxiliaires de puériculture plus ou moins expérimentés sont venus m’expliciter leur ressenti et leur perte de repères face à cette injonction. Plusieurs m’ont demandé le sens à donner à ces directives et comment les inscrire dans leur pratique quotidienne. Les collègues novices s’y sont pliés mais sans toujours comprendre le sens de leur pratique étant donné que le MEOPA ne s’administre pas comme n’importe quelle thérapeutique prescrite. Un environnement sécure doit être proposé et le patient doit accepter son administration pour en obtenir les effets escomptés.
Dans ce contexte, la cheffe de service et les cadres de santé, m’ont aussi sollicitée afin que je travaille sur le sujet et que je comprenne l’enjeu autour de la question de l’utilisation du MEOPA, dans l’optique de proposer une intervention aux professionnels.

 

Choix du modèle de consultation infirmière
Le modèle intégré de consultation
Plusieurs recherches en soins infirmiers définissent la consultation. Nous retiendrons la définition suivante issue des travaux de Lippitt et Lippitt(4) : « la consultation se définit comme une progression interactive au cours de laquelle on demande, recherche, donne et reçoit de l’aide. Il peut s’agir d’un processus d’aide à une personne, un groupe ou une organisation à qui il permet de mobiliser ses ressources internes et externes en vue de résoudre un problème ou de réaliser un changement ». Présentement, nous nous intéressons à la consultation de seconde ligne qui offre des soins indirectement aux patients par le soutien des infirmiers dans leurs interventions. La consultation est une des compétences de l’infirmière en pratique avancée qui fait appel également à ses autres champs de compétences. Son niveau d’expertise et sa capacité à manier ses différents savoirs interviennent dans le processus.
Au cours de mes différentes lectures et rencontres sur la consultation infirmière, plusieurs notions ont fait sens avec ma pratique et mes valeurs. J’ai retenu le modèle de la consultation intégrée(2) proposé en 2003 par Odette Roy (inf. PH.D.), Jocelyne Champagne (inf. B.SC.) et Cécile Michaud (inf. PH.D.). Le fait que cette activité soit centrée sur l’individu(5) me semble être un point de départ à ne pas négliger afin de conserver le sens de l’intervention. Les valeurs humanistes se doivent d’être une priorité. Puis, le distinguo fait entre la connaissance clinique et celle du processus par Norwood(6) et Lescarbeau et al.(7) traduit un point majeur : la mise en œuvre et la maîtrise du processus sont au cœur de la consultation et peuvent présager du résultat de la consultation. Enfin, le fait que les objectifs poursuivis soient centrés sur la collaboration et le développement de l’autonomie permet de répondre aux différents besoins en matière de santé. Tous ces éléments font de la consultation infirmière une activité s’inscrivant parfaitement dans la pratique avancée.


Les caractéristiques du modèle intégré
« Ce modèle est dit intégré en ce sens qu’il regroupe plusieurs concepts théoriques au sein d’un même système, comme dans le cas de l’approche de Hamric et al.(8), du cadre d’intervention de Lescarbeau et al.(7) ainsi que de celui de Norwood(6). Le modèle réunit à la fois des notions conceptuelles, contextuelles et opérationnelles » (2) qui m’intéressent particulièrement dans cette situation :
L’individu est au cœur de la consultation. Le travail mené par l’infirmière de pratique avancée positionne la personne dans son entièreté comme élément central du processus car c’est sa spécificité qui conditionnera les futures actions. L’infirmière est présente à ses côtés tout au long de la réflexion sans jamais prendre sa place. Elle doit lui permettre d’avancer par elle-même dans son processus de changement ou d’acquisition de nouvelles connaissances. L’objectif n’est pas tant de solutionner un problème mais plutôt d’accompagner la personne qui le vit en la soutenant dans son évolution. Cette position m’a permis d’accéder aux représentations et préconceptions que chacun avait par rapport à l’utilisation du MEOPA. 
Les caractéristiques de tous les acteurs de la consultation sont des éléments fondamentaux pour la consultation afin de pouvoir garantir les valeurs humanistes énoncées plus haut. Il est donc entendu qu’avec une autre consultante et/ou d’autres consultés l’intervention sera différente. La réalité de chacun par rapport à la problématique doit être considérée car elle affecte le processus de consultation. 
J’ai donc privilégié des rencontres informelles dans un premier temps dans les postes de soins, les lieux de transmission ou pendant la pause « café » afin que chacun puisse exprimer son ressenti sans contraintes majeurs pour le déroulé des soins. Les professionnels ont ainsi fait émerger l’intensité de la problématique ainsi que les contraintes qui étaient les leurs. L’environnement a aussi été beaucoup mis en cause : manque de personnel pour l’administration du gaz, surplus de matériel en transporté dans le box de consultation, masques non adaptés aux jeunes patients… Ces informations ont été majeures pour la mise en œuvre des différentes composantes.
La composante relationnelle décrite dans ce modèle intégré est issue des relations interpersonnelles entre les différents acteurs. J’ai donc veillé à ouvrir mon esprit en respectant les paroles des professionnels, diversifiées soient-elles, afin qu’ils puissent ressentir mon intérêt sincère pour leur problématique.
La composante technique concerne tous les outils utilisés pour être au plus proche de la difficulté des consultés et ainsi proposer des actions adaptées. Ses outils ne sont pas stéréotypés mais construits et/ou déployés, avec rigueur, par rapport à la situation.
La composante synergique traduit les capacités des consultés dans leur environnement potentialisées par le rôle de la consultante. Elle positionne toujours les consultés comme acteurs majeurs de leurs problèmes et des solutions qui s’y rapportent. La responsabilité de l’évolution de la situation n’incombe pas uniquement à la consultante mais à tous les acteurs.
La composante méthodologique représente l’application de la méthode rigoureuse de consultation séquentielle. C’est une méthode systématique de résolution de problème.

 

La définition des clients
Nous entendons par « clients » ceux chez qui nous cherchons à orienter le changement et développer les compétences. La question s’est posée de savoir qui étaient les clients dans ce processus de consultation. D’une part, la cheffe de service et les cadres de santé (que nous appellerons les managers), m’ont sollicitée afin que je propose une intervention pour accompagner le changement dans la prise en charge de la douleur induite vers de nouvelles pratiques correspondant aux recommandations. D’autre part, les professionnels expérimentés m’ont demandé de l’aide et des explications pour cette difficulté clinique qu’ils ne comprenaient pas ainsi qu’un soutien de leurs pratiques en vigueur.
Caplan et Caplan distinguent quatre types de clients en fonction des objectifs de la consultation(9). Pour cette situation, j’avais donc le choix entre deux : les managers et les professionnels de santé. Selon Christophe Debout, « il sera qualifié de consultation de seconde ligne s’il s’adresse à deux bénéficiaires : le professionnel de santé qui a requis l’intervention du consultant (bénéficiaire direct) et la personne soignée (bénéficiaire indirecte) »(10). J’ai fait le choix de positionner les professionnels de santé, infirmiers et auxiliaires de puéricultures, comme clients et bénéficiaires directs afin de leur apporter soutien et assistance pour la difficulté rencontrée face à la situation clinique présentée. Quatre référents ont été nommés par leurs pairs (un par équipe) dont 2 infirmiers et 2 auxiliaires de puériculture. Ce qu’il m’a semblé pertinent de retenir est que les managers et les professionnels avaient finalement une demande qui allait dans le même sens : la délivrance de soins de qualité au patient intégrant la prévention et le traitement de la douleur induite.
Les managers ont été continuellement informés de l’avancement du processus, avec l’accord des référents. 

 

Processus de consultation
Dans ce modèle, sept étapes ont été retenues : l’entrée, le contrat, l’orientation de l’intervention, la détermination du problème, la planification des actions, la réalisation des interventions et, l’évaluation, la conclusion et le désengagement. Ces étapes sont issues des travaux de Norwood(6), Lescarbeau et al. (7) et Lipitt et Lipitt(4).
L’entrée
L’entrée permet une approche globale du problème en recueillant des données de différentes natures et sources. Cette technique permet une première analyse de données qui est partagée avec le client. Ainsi le consultant peut évaluer si ce problème est bien de son ressort, exprimer un premier ressenti de la situation au client et lui proposer des pistes d’intervention en fonction de son expertise. 
J’ai donc recueilli des signes observables d’une situation non satisfaisante dans plusieurs lieux (poste de soins paramédicale, bureau médicale de prescription, couloirs du service, bureau du régulateur, comptoir d’accueil des patients) :
-    Discorde entre les « pro-MEOPA systématique » et ceux plus nuancés
-    Injonction médicale de réaliser des soins le plus vite possible avec une réponse paramédicale soulignant cette impossibilité
-    Conflits pluriprofessionnels sur la gestion des prises en soins de patients
-    Difficulté des nouveaux collègues (toutes professions confondues) dans leur positionnement
-    Enfants vivant une expérience de la douleur qui aurait pu être gérée différemment au regard des recommandations
-    Mécontentements de parents dans la gestion de la douleur de leur enfant
Selon les professionnels, cette situation semblait être assez ancienne (plusieurs années) mais n’avait pas été explorée ou discutée véritablement. Elle a surgi lors du changement de cheffe de service comme de nombreux autres questionnements. Je leur ai demandé s’il connaissait les facteurs qui pouvaient expliquer et donner sens à cette situation. Voici les différents éléments rapportés :
-    Historique du service
-    Contexte d’urgence vitale
-    Fréquentation accrue du service
-    Diminution de l’expertise soignante
-    Protocoles du service prenant peu en compte la prévention de la douleur
Enfin j’ai cherché à savoir s’ils avaient conscience d’actions déjà menées pour modifier cette situation insatisfaisante. La majorité des professionnels m’a répondu que rien n’avait été fait. Quelques-uns ont cité les formations et le positionnement de la cheffe de service et de l’encadrement paramédical.
J’ai également questionné sur les attentes qu’ils auraient d’une potentielle intervention. Certains souhaitaient que l’on reconnaisse la valeur de leur travail et que l’on ne remette pas en cause leur autonomie dans la gestion de la douleur induite, d’autres voulaient que les médecins soient formés au MEOPA pour se rendre compte du temps que cela prend mais voulaient aussi savoir pourquoi cette problématique était soulevée alors que ce n’était pas nouveau. En globalité, la majorité souhaitait avoir des explications sur la situation et transmettre son expérience de terrain au regard de ses compétences.
Ce premier traitement de données met donc en évidence une situation insatisfaisante entraînant des conséquences pour les patients et leur famille, les professionnels paramédicaux, les médecins et l’institution. La présentation de cette synthèse a été faite aux clients (quatre référents) lors d’une réunion en visioconférence. Un document écrit a été ensuite rédigé et communiqué à tous les professionnels. Les points relevés lors des observations et discussions ci-dessus ont fait sens pour eux et j’ai pu approfondir le recueil de données avec leurs différentes interventions. Ils ont apprécié que je maîtrise l’historique du sujet ainsi que la réalité des soins. Je les ai informés qu’il m’était possible d’intervenir afin de travailler sur les difficultés nommées ci-dessus dans le cadre d’une consultation spécialisée de seconde ligne. 


Le contrat
Au cours de la même réunion, j’ai abordé la notion de contrat comme axe important du processus pour valider le problème ensemble et exposer les responsabilités de chacun. Cet engagement réciproque permet de me positionner en tant qu’intervenante pour cette situation précise au regard des clients. Avec les clients, nous nous sommes entendus sur l’objectif général de l’intervention : Apporter soutien et conseils aux professionnels dans leur processus réflexif afin qu’ils adoptent des pratiques de soins en accord avec leur valeurs et les recommandations.
Les clients m’ont demandé une intervention peu couteuse en temps étant donné les difficultés actuelles de gestion de planning. Ils ont spécifié ne pas venir sur leurs jours de repos pour faire des réunions. Cependant ils ont accepté de réitérer la réunion en visioconférence. Ils se sont engagés à être mes interlocuteurs privilégiés pour la mise en œuvre de ces entretiens au regard de l’activité de soin. Ils ont aussi mentionné qu’ils seraient des relais pour la promotion de ce processus.
Quant aux résultats souhaités, les grandes lignes définies ensemble ont été :
-    Donner confiance aux professionnels à l’aide de situations concrètes dans leur pratique quotidienne afin de créer un environnement favorable à la communication.
-    Faire exprimer les représentations de chacun par rapport à la prise en charge de la douleur et à la gestion du flux des patients.
-    Présenter en équipe pluriprofessionnelle des situations de soins caractéristiques qui soulèvent des questionnements sur la prise en charge de la douleur.
Tous ces éléments ont été transmis aux managers du service, avec l’accord des référents.


L’orientation de l’intervention
Cette étape est centrée sur la circulation de l’information. Etant donné la taille de l’équipe, cette étape est un défi à elle-seule. En effet, les clients et moi-même avons observé la difficulté de faire circuler certaines informations en fonction de leur nature. Nous avons convenu de communiquer à tout le système-client le « synopsis » de la situation par l’intermédiaire d’un mail collectif. L’idée était de relayer des données uniformes sur les symptômes du problème et sur les premières actions menées. Puis j’ai rencontré la majorité de l’équipe sur trois jours, avec les référents quand cela était possible. Ainsi chacun a pu repartir sur une base commune de discussion et les « bruits de couloir » se sont atténués. Cette étape a permis une perception nouvelle de la situation pour certains professionnels. Trois professionnels n’ont pas souhaité participer à la consultation et n’ont donc pas été inclus dans le processus.
Les hypothèses que j’ai émises à ce stade ont été :
-    Les professionnels expérimentés mettent en œuvre des méthodes de lutte contre la douleur induite, sans utiliser de façon systématique le MEOPA. Elles mettent en pratique des techniques alliant la distraction, l’hypnose conversationnelle, l’inclusion des parents, la mise en confiance de l’enfant et du parent grâce à leurs connaissances et à une maitrise des pratiques. Elles sont capables d’ajuster la façon de faire les soins en fonction de la réaction de l’enfant et/ou du parent et proposent le MEOPA en fonction du contexte. 
-    Les professionnels novices proposent le gaz de façon systématique sans avoir toujours la maitrise des conditions qui régentent son utilisation (environnement sécure et acceptation du patient). 


La détermination du problème
Je me suis de nouveau entretenue avec les clients après la troisième étape. J’ai commencé par leur présenter les hypothèses qui ont émergés. Aucun référent n’a réagi à ce constat et tous ont semblé sur la défensive. J’ai donc utilisé le renforcement positif pour traduire les hypothèses en compétences développées par les expertes et les novices. Ainsi les référents ont conscientisé que ce n’étaient pas leurs pratiques personnelles qui étaient remises en cause mais la perception que les autres en avaient, majoritairement par méconnaissance. Puis nous avons défini le problème ensemble de la façon qui nous semblait la plus pertinente : L’utilisation systématique du MEOPA remet en cause l’autonomie et la valeur des professionnels experts et standardise une pratique chez les professionnels novices sans pour autant en garantir les effets, du fait de la non-maitrise de l’utilisation du gaz.
L’énoncé du problème m’a permis d’analyser la situation par la suite. Le problème de soin concerne la prise en charge de la douleur lors des soins potentiellement douloureux plus que l’utilisation systématique ou non du MEOPA. Les soins sont observés de façon globale par les managers et les médecins sans distinction faite entre ceux réalisés par des professionnels experts ou des professionnels novices. Or, en pédiatrie notamment, la gestion des soins est différente au regard de l’expertise. J’ai pu conforter ce principe lors de mes observations et discussions.
Les infirmiers et les auxiliaires de puériculture expérimentés se sentent déconsidérées dans leur rôle propre relatif à la gestion de la douleur induite. Elles justifient leurs actions (non-utilisation du gaz, sous-utilisation de la crème anesthésiante…) en notifiant qu’elles sont dans l’intérêt du fonctionnement du service et l’optimisation des prises en charge (gestion du flux de patients). En réalité, elles mettent en avant ce qu’elles ne font pas et non tout ce qu’elles font dans la prise en charge de la douleur mais qui ne se voit pas ou qui n’est pas écrit (techniques citées dans 3.)
Le problème secondaire qui me semble ressortir pour les infirmiers et auxiliaires de puériculture novices est le manque de compréhension sur la réticence à l’utilisation systématique du MEOPA des collègues expérimentées. Il faut aussi noter que la gestion de la douleur induite est régulièrement opposée à celle du flux dans les discussions entre professionnels. C’est un faux débat car lors de mes observations je n’ai constaté aucune négligence dans la prise en charge de la douleur liée à l’optimisation du temps de soin. 


La planification des actions
J’ai proposé aux référents puis à tous les consultés ayant intégré le processus un plan d’intervention en plusieurs étapes, au regard de toutes les données qui avaient été recueillies :
a. Identification des partenaires
b. Identification et mobilisation des ressources
c. Présentation du projet à l’ensemble des consultés 
d. Compagnonnage avec les professionnels novices
e. Compagnonnage avec des binômes professionnels experts et novices
f. Rencontres une fois par semaine par petits groupes de consultés
Les managers du service ont été concerté et ont validé le plan avant proposition aux professionnels afin que nous puissions travailler en toute coopération.


La réalisation des interventions
Les points a. et b. du plan se sont déroulés en réunion présentielle dans le service ainsi qu’en distanciel pour ceux qui ne pouvaient être sur place. Au total une quinzaine de personnes y ont assisté. Les managers se sont imposés aux consultés et à moi-même comme partenaires étant donné la similitude des objectifs poursuivis. Bien que leurs besoins ne soient pas les mêmes que ceux des professionnels, leur positionnement et leur reconnaissance dans les objectifs ont été un atout. Implicitement, leurs objectifs secondaires étaient :
-    Concilier qualité et rapidité
-    Augmenter les compétences des professionnels novices
-    Adapter l’offre de soins à la demande croissante
Ce positionnement de partenaire a potentialisé notre coopération et équilibré leur leadership avec le mien.
L’identification des ressources a surtout consisté en l’identification des compétences collectives :
-    Synthèse sur les formations paramédicales et médicales
-    Mise en avant du médecin référent « douleur »
-    Partenariat avec le CLUD-SP (comité de lutte contre la douleur – soins palliatifs) du CHU
-    Analyse de situations cliniques du service avec mise en exergue des réussites
-    valorisation du travail en binôme infirmier – auxiliaire de puériculture
-    valorisation de l’infirmier référent du patient et de sa famille
-    existence d’un protocole institutionnel actualisé sur l’utilisation du MEOPA étant aisément disponible et mis en œuvre au SAU
Ce point a été important car les professionnels ont pris du plaisir à valoriser ce qu’elles maitrisaient et qui avaient une valeur réelle dans la prise en soin du patient.
Concernant le point c., une présentation a été faite à l’équipe à quatre reprises (17 personnes au total) afin de toucher un maximum de consultés. Le mode visioconférence a été proposé mais personne ne s’est connecté. Les partenaires et les ressources ont été présentés ainsi que la suite du plan d’actions et leurs objectifs.
J’ai pu réaliser trois compagnonnages pour le point d.. J’avais déjà observé ces professionnelles lors de ma collecte de données. Nous sommes repartis des points observés et avons travaillé sur l’approche du soin avec le MEOPA mais aussi toutes les autres techniques possibles en fonction des situations. L’infirmier et l’auxiliaire de puériculture étaient dans le service depuis moins de six mois. Les familles et les patients étaient prévenues en amont et avaient donné leur accord. L’expérience a été très enrichissante pour chacun car la parole était particulièrement libre et bienveillante. L’intérêt supérieur de l’enfant était la priorité de chacun, dans le respect de nos contraintes institutionnelles.
Le compagnonnage avec les binômes d’expertise mixte (3 actions) n’a pas été particulièrement productif sur le moment. Les professionnels novices ont suivi les modes habituels de fonctionnement des experts sans oser se positionner sur la gestion de la douleur. Les professionnels experts ont déployé leurs différentes techniques de gestion de la douleur mais sans les expliciter clairement à leurs jeunes collègues, ni pendant, ni après le soin.


Rencontres avec les consultés
J’ai aussi réalisé trois rencontres pour le point f. Ces rencontres étaient programmées une semaine en avance, sur inscription pour cinq personnes maximum (affichage en salle de pause). La majorité des consultés étaient novices. Les professionnels experts ont rencontré des difficultés à se libérer en raison de la charge de travail mais aussi car elles exprimaient une moindre motivation pour ces rencontres. Cependant elles n’ont pas été un frein et ont laissé les collègues s’y rendre. Quatre personnes ont été présentes à chaque réunion. Ces rencontres de travail m’ont permis d’accéder aux représentations et préconceptions que chacun avait par rapport à l’utilisation du MEOPA. Au cours de la réflexion, certaines collègues ont pris conscience de leur représentation liée à la gestion de la douleur : « les enfants un peu âgés doivent expérimenter la douleur. S’ils n’ont jamais mal, ils en pâtiront plus tard », « pour moi, le MEOPA est à utiliser en dernier recours, quand on n’arrive pas à proposer autre chose », « ce n’est pas la peine de le proposer à un enfant qui est calme et détendu avant le soin, je lui propose s’il se met à avoir mal ». Pendant la formulation des réponses, les professionnelles elle-même s’interrogeaient sur leur pratique, en réalisant que d’autres pratiques étaient possibles : « c’est vrai que le MEOPA fonctionne mieux quand l’enfant est détendu », « il y aura d’autres situations dans lesquelles il expérimentera la douleur, je pourrai peut-être proposer de lutter contre la douleur en toute situation en adaptant la méthode ». Nous sommes revenus sur les actions de compagnonnage avec la mixité d’expertise et avons pu analyser les différentes situations cliniques en explorant les techniques de gestion de la douleur des expertes.


L’évaluation, la conclusion et le désengagement
Cette étape permet d’apprécier l’évolution du problème de départ. Nous avons repris chaque étape avec les référents en nous recentrant sur l’orientation de l’intervention et le problème. L’évaluation de la circulation de l’information, que nous avions positionnée comme axe de travail majeur, s’est avérée concluante. Une grande majorité de l’équipe a pu bénéficier d’informations équivalentes et simultanées. On mesure que le changement s’opère grâce aux phases de travail réflexif.
Une rencontre en grand groupe a été organisée. Les changements dans la posture et dans la pratique ont été soulignés et valorisés. Je les ai traduit en termes d’apprentissage afin que la mesure du travail individuel et collectif soit soulignée. L’impact sur la transformation des soins apportés aux patients sera le sujet d’un autre travail. 

 

Conclusion
Le fait que la majorité des professionnels adhère à la consultation m’a semblé un véritable atout. Cependant, dans la réalité, peu d’entre eux ont assisté et participé aux rencontres et aux échanges. La taille du groupe ainsi que mes failles dans le suivi du processus ont sans doute été des freins pour la dynamique d’équipe et la réalisation des actions menées. D’un point de vue organisationnel, j’ai eu de réelles difficultés à concilier les temps de consultation avec le travail des consultés au SAU pédiatrique. En effet, les consultés n’ont pu être dégagés entièrement des soins et le suivi de la consultation en a été fortement impactée.
Les outils utilisés pour cette consultation ont été nombreux :
-    L’observation et les entretiens pour collecter de données
-    Les synthèses et la concertation régulière avec les consultés et les partenaires afin de travailler continuellement en toute coopération
-    l’analyse de situation pour permettre aux consultés d’exprimer leur ressenti et leur vécu au regard de la situation non satisfaisante
-    le compagnonnage, le partenariat, le soutien et la reformulation positive avec les consultés pour leur donner confiance et qu’ils puissent progresser par eux-mêmes.
-    la mise en situation supervisée pour que les consultés puissent expérimenter leur transformation en tout bienveillance
La consultation ne s’improvise pas et demande une maîtrise égale du processus et de la clinique. Positionner les consultés en tant que responsables de leur transformation a été un véritable défi et relève d’une réelle compétence afin qu’ils mobilisent eux-mêmes leurs ressources. Les valeurs humanistes de cette prestation de soins sont, pour l’infirmière consultante, la possibilité d’agir dans une perspective globale tout en garantissant l’intérêt supérieur du patient et du professionnel consulté au cœur de la démarche.

 

Bibliographie

  1.    Froelig PP. Cours sur La consultation infirmière. 2021 mai; Sainte-Anne Form@tion, Paris. 
    2.    Roy O, Champagne J, Michaud C. La compétence de consultation. août 2003;40. 
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    9.    Caplan G, Caplan RB. Mental health consultation and collaboration. 1st ed. San Francisco: Jossey-Bass Publishers; 1993. 393 p. (The Jossey-Bass social and behavioral science series). 
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Pauline Villemont

Infirmière spécialiste clinique